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Pascale Mussard : "Les créateurs finalistes du Festival de Hyères doivent être soutenus. C’est le moment le plus important du début de leur carrière."

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La discrétion de Pascale Mussard masque une influence considérable sur la création contemporaine. Présidente de la Villa Noailles depuis 2016, elle insuffle au Festival de Hyères et à la Design Parade la philosophie qu'elle avait développée avec la ligne Petit h, lancée chez Hermès en 2010 : offrir un espace d'expression aux artisans et créatifs les plus talentueux et innovants. Entourée d'artistes depuis toujours, elle semble aimanter naturellement les amoureux du beau et du travail bien fait.

Son sac déborde de livres, comme son enthousiasme contenu, humble, une vague sous un couvercle. Dès que Pascale Mussard sent qu'elle se met en lumière, elle tire un peu la couverture d'ombre sur elle. Tout son parcours, elle s'est placée au service des créatifs et a appris d'eux. "Je n'ai jamais signé quoi que ce soit, ni texte, ni objet. J'aime faire des choses avec les autres. C'est le directeur artistique qui insuffle et sans lui tout s'écroule. Et l'artisan fabrique et rend l'objet intelligent. Un qui rêve et l'autre qui réalise le rêve. C'est cet échange qui me plait", confie-t-elle. Son parcours débute en 1978 en tant qu'assistante de la styliste Nicole de Vésian et son jeune bras droit, Christian Lacroix. L'année suivante, cette dernière est appelée comme consultante styliste chez Hermès pour renforcer le studio de création, alors dirigé par Catherine de Károlyi. Pascale Mussard la suit, à un moment où Hermès fait pivoter sa stratégie de communication. "À l'époque, la Maison Hermès, en tant que Maison d'artisanat, ne communiquait qu'avec ses vitrines agencées par Annie Beaumel," explique-t-elle. Pour accompagner ce renouveau, Françoise Aron et Pacha Bensimon, cofondatrices de l'agence Eldorado devenue Publicis EtNous, font appel à Jean-Jacques Picart. Avec Pascale Mussard, ils travaillent alors main dans la main, lui à l'extérieur, elle à l'intérieur de la Maison. Cet attaché de presse devenu consultant et emblématique dénicheur de talents devient son mentor. "Il m'a formé et je lui dois beaucoup. Il n'y avait que des jeunes créateurs chez lui : Thierry Mugler, Claude Montana, Jean-Rémy Daumas, Popy Moreni, Jean-Charles de Castelbajac...", se souvient-elle, sourire en coin, bien consciente de la postérité monumentale de ces talents qui débutaient. "J'étais impressionnée par leur culot. J'étais très timide et ils ne me connaissaient pas mais j'écoutais leurs discussions. Je les connaissais mieux que ce qu'ils ne pouvaient penser."

Les années qui suivent, elle affine progressivement son approche du bel objet. "Le projet qui m'a fait le plus peur, c'est lorsque Yohji Yamamoto m'a demandé de lui dessiner un sac." Après de nombreux échanges, elle se rend avec Irène Silvagni - ancienne rédactrice en chef mode de Vogue Paris qui accompagnait Yohji depuis 1981 - dans le bureau du créateur "qui était comme un grenier" pour présenter un prototype. "J'avais très peur de le décevoir et quand j'ai ouvert... Il m'a regardé et m'a pris dans les bras. Il a adoré." Il en commande quinze modèles en cuir Barénia, pour son défilé du 25 février 2008, collection Automne-Hiver 2008/2009. "C'est Juan Iniguez, un artisan que j'adorais, qui avait fabriqué la bandoulière." En 2010, cette quête de création partagée avec les artisans aboutit au lancement de la ligne Petit h, où les rebuts des ateliers se transforment en objets uniques grâce aux savoir-faire exceptionnels des mains Hermès. "Un artisan, Arnaud Philippe, parlait de matières endormies. Nous n'avons jamais parlé de déchets." Cette proximité avec les artisans nourrit toute son approche : "J'ai tout appris en mettant mon bureau dans l'atelier, avec les artisans qui fabriquent. Le projet est né grâce à Mickaël Orain et son expertise exceptionnelle. Il travaillait aux commandes spéciales." Premier artisan de Petit h, Orain a par ailleurs été nommé Meilleur Ouvrier de France (Maroquinerie, évidemment) en 2019. "Certains objets sont devenus 100 fois mieux, 100 fois plus intelligents parce que les artisans expliquaient que certaines techniques pouvaient permettre d'alléger, ou de rendre plus solide." Les matières se réinventent, les formes se multiplient, les possibilités s'ouvrent. "Toute petite, j'ai été dans les ateliers, je ramassais des morceaux de cuir... ça vient de là, Petit h. C'est le laboratoire."

 

"Toute ma vie professionnelle, je n'ai pas eu confiance en moi. Mais avec les difficultés qu'on a vécu à la Villa Noailles, je me suis aperçue qu'on peut être plus fort que ce qu'on pense, que ce que je pense."

 

En 2016, elle succède à Didier Grumbach à la présidence de la Villa Noailles. "J'ai accepté parce que Didier me l'a demandé et que ça ne devait pas durer longtemps. Il m'a beaucoup soutenue, ainsi que Stéphane Wargnier et Marie-Claude Beaud qui m'ont toujours accompagnée et encouragée. Ce sont des rôles où il faut avoir un sens stratégique, politique et je ne l'ai pas. Je ne l'aurais jamais." Pourtant, depuis presque dix ans, elle assume ce rôle à sa manière, avec douceur. Elle connaissait déjà la Villa Noailles comme sa poche, en tant que présidente de l'association des Amis de Saint-Bernard, fondée en 2008 pour soutenir le lieu et ses projets culturels. Et bien avant, enfant, lorsqu'elle y venait avec son père. "Il était architecte et passionné par Robert Mallet-Stevens, l'architecte de la Villa." Perchée sur les flancs de la colline du Castéou à Hyères, c'est un lieu poétique et labyrinthique. "Il y a même une chambre avec un escalier qui ne mène à rien", précise-t-elle en souriant. En 2022, son engagement au service de la création lui vaut d'être nommée à l'ordre des Arts et des Lettres, distinction qu'elle n'a jamais osé allée chercher. "Je n'en ai jamais parlé parce que je pense que je ne la mérite pas. Je ne la dois qu'aux gens qui m'ont portée et j'aimerais la recevoir des mains de Didier Grumbach, en présence de mes trois enfants."

La 40ᵉ édition du Festival se tiendra du jeudi 16 au samedi 18 octobre 2025 et ouvre un nouveau chapitre avec l'arrivée d'Hugo Lucchino comme directeur, nommé le 25 juillet dernier. Secrétaire général du Palais Galliera depuis 2020 et passé notamment par le Centre national du graphisme, il rejoint la Villa pour structurer et accompagner son développement. "Ce que j’aime dans la vision d'Hugo, c’est qu’il s’inscrit dans la continuité de ce projet de transmission et de soutien, qu'a créé Jean-Pierre Blanc qui a accompli un immense travail avec ses équipes depuis quatre décennies. Nous lui devons énormément pour ce projet unique et visionnaire en faveur de la jeune création." L’édition anniversaire reste fidèle à la mission de révéler et d’accompagner les talents émergents dans le respect de l'héritage, historique et poétique, de Marie-Laure et Charles de Noailles. "Je pense à des créateurs qui ont été finalistes, sans remporter le concours, et ont aujourd’hui pignon sur rue, ou d’autres qui sont entrés dans des structures très importantes. Les artisans et créateurs finalistes du Festival de Hyères doivent être soutenus. C’est le moment le plus important du début de leur carrière." Cet engagement que la Villa a toujours défendu et qui perdure malgré les turbulences. 

 

"Dans la création, le rêve est général. On ne peut pas tout s'acheter mais on peut rêver d'avoir quelque chose."

 

Cette sensibilité pour les savoir-faire exceptionnels et leur transmission, qui fait intégralement partie d'elle, se retrouve dans ses autres projets. Elle soutient ainsi le musée Ivan Honchar, à Kiev. "C'est l'histoire d'une famille qui a sauvegardé des objets vernaculaires, des broderies… c'est magnifique. Je les soutiens personnellement pour qu'ils photographient les œuvres et qu'ils puissent les archiver dans un livre qui sera passionnant. Je suis très attachée à ces gens et à ce qu'ils font, surtout depuis le début de la guerre," confie-t-elle avec émotion.

Son engagement s'étend également à l'Ouzbékistan, pays qu'elle connaît depuis 1973, lorsqu'elle s'y était rendue étudiante pour y découvrir les textiles. Des décennies plus tard, à Milan, elle reconnaît sur des photographies de la Biennale les lieux visités dans sa jeunesse. Cet attachement de longue date l'a naturellement conduite à soutenir à titre personnel la résidence d'artistes Namuna à Tashkent. "J'ai visité les ateliers extraordinaires de broderies, de dessins, de tapis, de miniatures. C'est formidable le principe des résidences d'artistes. Ils ont un an de liberté totale pour créer. Un nouvel appel à candidatures international va être lancé bientôt."

Qu'il s'agisse d'artisanat traditionnel ou de création contemporaine, cette volonté de transmettre l'amène également à étendre son soutien aux créateurs de mode en siégeant au jury d'AZ Academy, programme de 12 mois lancé en 2024 par Richemont en collaboration avec l'Accademia Costume & Moda à Milan, dirigée par Lupo Lanzara et dont Barbara Trebitsch pilote les programmes académiques. "Mauro Grimaldi, qui s'occupait d'AZ Factory avec Alber Elbaz, m'a appelé pour me proposer de rejoindre le jury."Aux côtés de dix-sept autres professionnels du secteur, dont Isabel Marant, Lutz Huelle ou encore Sara Sozzani Maino, elle accompagne de jeunes créateurs émergents dans leur apprentissage de l'entrepreneuriat créatif : "On leur apprend à dialoguer avec le monde de l'industrie de la mode, de la communication au business, au retail, à l'investissement. On leur donne toutes les clés."

Elle s'est toujours réfugiée dans la création, l'attrait du beau, s'entourant de celles et ceux qui le fabriquent. Véritable tour de force de ne jamais avoir perdu la douceur et l'espoir fragile de l'enfance, comme un rempart contre les agitations extérieures. C'est peut-être le manque de confiance qui permet de prendre du recul, de douter, de ne pas jamais être trop ancrée en soi. Cette force qu'elle porte en elle sans y penser, occupée à soutenir, à révéler les autres.

 

Reuben Attia