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Méthode Mossi

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Mossi Traoré a à la fois une façon de s’y prendre complètement neuve et une manière de voir la couture qui remonte à loin. Lui, c’est le petit (grand!) garçon du Val de Marne qui rêvait de mode mais n’était pas né dans un milieu où une telle passion est prise au sérieux. Il sait tout de l’étrangeté qu’est la mode pour des gens qui ne peuvent pas se l’offrir. Il révèle volontiers, comme pour se faire comprendre, qu’il a été un gamin qui chipait les jolies fringues, adolescent. Son père éboueur, sa mère femme de ménage, regardent ahuris ce gosse qui a la folie des grandeurs. Et, peut-être, ils ont peur pour lui. Est-ce que la vie ne va pas le décevoir ? Lui, franco-malien qui voyage peu, part en Sicile avec son école. Il n’a jamais pris l’avion. Il voit que le monde est si vaste, et que les inspirations pleuvent. Son amour pour la beauté ne fait que grandir. Un jour, sa classe organise une sortie scolaire, ça se passe au Palais Garnier et il découvre un monde. Les costumes de Christian Lacroix (il doit faire un exposé dessus). Les dorures. La vie lui a appris à avoir tous les culots alors à un moment il ira même voir les gens de l’Opéra en disant : « Je veux venir travailler ici ». Il ose cette phrase, lui qui corrige au Typex, à l’époque, ses innombrables lettres de motivation. Mossi va ainsi multiplier les expériences, habilleur chez Issey Miake, par exemple, jusqu’à devenir vendeur chez Giorgio Armani. Pour sa mère, c’est déjà à la fois une consécration, une fierté et une absurdité. Elle trouve tout hors de prix. Mais Mossi, lui, ne voit là qu’un début. Il se met à faire des vêtements qui témoignent de deux passions qui sont, littéralement, venues le cueillir : le Japon, et les plissés de Madame Grès. Madame Grès… ça le rend fou, la manière de placer le tissu. Il rencontre une femme qui a travaillé avec son idole. Elle a un âge certain, et sans doute c’est ce qui lui permet de voir la pureté d’intention de Mossi, et la force de sa vocation. Elle accepte de travailler avec lui quand il fonde les Ateliers Alix (prénom de Madame Grès), dans le Val de Marne, avec les subventions légales de la Mairie et du département, le Bailleur Social… il monte une école d’initiation à la Haute Couture qui se professionnalise à toute vitesse. Formation en trois ans, avec des étudiants qui n’auraient jamais eu cette chance sans Mossi, mais qui découvrent aussi que la couture, c’est un travail de Titan, c’est le sens d’une vie. Mossi a eu des anges sur son passage : il ne met pas longtemps, Didier Grumbach, alors président de la Fédération de la Couture, du- prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de mode, à annoncer au jeune Mossi « je te mets dans le calendrier de la Haute Couture ». Elle ne met pas longtemps, la danseuse étoile Marie-Agnès Gillot, a accepté une expo-shooting au Taj Mahal. Ce n’est pas que le jeune homme a du charme (il en a), c’est qu’il a le feu sacré. En 2020, à 35 ans, il est lauréat de l’Andam, et me dit, tout fier : « C’est le prix Pierre Bergé ! ». Il faut aller voir ses vêtements de près. Un pli n’est pas un pli, il est la suite du mouvement. Un plissé emmène quelque part. Un col irrégulier montre que tout en nous est souple, libre, ouvert.

Sophie Fontanel