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Core, une conversation entre Marine Serre et Anne-Françoise Moyson

Focus

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Cela a débuté comme un sprint sans même attendre le signal de départ, sans même l’entendre, de toute façon, il n’y en eut pas. Marine Serre avait démarré en trombe, dans une créativité florissante faite d’intuitions et d’expérimentations. Cela avait nécessité de la puissance, de la fulgurance, une âpre sincérité, un certain aveuglement même ou en tout cas une vision concentrée sur l’horizon, sans détour, juste tendue vers un but, le sien, qu’elle savait déjà partagé par d’autres. Elle ignorait alors que cette course-là garderait le même rythme, la même intensité sur une temporalité si longue – quatre ans, ce n’est pas rien.

Et puis il y eut cette concordance intime et extime, qui sidéra la planète, cisaillant la course folle, l’adjectif vaut pour l’industrie de la mode, pas pour Marine Serre, qui depuis les débuts, entend ne pas suivre ses lois pour mieux prendre les chemins de traverse. Il en faut du courage, de l’entêtement. Celles et ceux qui en ont par-devers eux avaient reconnu en elle une même volonté forgée presque instinctivement. Sa collection de fin d’études pensée, créée, produite à Bruxelles était ancrée dans cette ville faite d’hybrides, elle l’avait baptisée Radical call for love. Cela sonnait comme un appel fédérateur qui rassemblerait sous un même étendard une tribu, comme un puzzle d’êtres mosaïques. Ils étaient au rendez-vous, mus par l’attraction des corps et des idées. Ils parlaient la même langue, parfois inconsciemment, ou alors ils avaient compris très concrètement que ce nouveau vocabulaire permettrait in fine de modifier les choses, un tant soit peu. Alors Marine Serre est devenue une marque, une maison, mieux qu’un logo, une famille pourquoi pas presque mystique.

Le printemps dernier la cueillit dans sa chevauchée sous adrénaline, toute tendue à créer et à survivre – ce ne fut pas un prétexte pour se muer en archéologue, juste une évidence. Si sa grammaire est dès le départ organiquement inscrite dans chaque détail, dans chacune des matières et des silhouettes de son vestiaire, dans la recherche joyeuse et dans le processus collectif d’intelligence créative, il n’est jamais superflu de tenter de bien nommer les choses, d’acérer le propos. Pour mieux redéfinir un lexique articulé à la vie et l’ancrer, ensemble, dans le quotidien. Car qui comprend un vêtement Regenerated ? Qui imagine le travail en amont et sur toute sa longueur ? Qui devine la somme de labeur, de sueur, de minutie, le soin apporté à chaque rebut réinventé et donc ainsi sauvé ? Qui reconnaît la métempsychose des fils, des formes, des matières, des archétypes ? Qui embrasse concrètement l’hybridation circulaire ?

Comme Marine Serre ignorait les réponses à ces questions, elle a choisi de donner à voir en images, en mots, en mouvements, ce qu’il y a de plus essentiel chez elle, concentré dans ces interrogations constitutives. Ainsi elle chemine de l’utopie vers une réalité qu’elle façonne au jour le jour et rêve de partager, sans jamais imposer sa vision. Il est question de corriger, analyser, simplifier, ne pas insister sur ce qui n’a plus d’importance, asseoir une cohérence, prendre des risques, penser les prix, travailler la praticité, le confort, les volumes, être au service de. Pour enfin descendre dans la rue, le meilleur rempart à l’irrattrapable – son Ecofuturisme a de l’ambition. Le pourquoi et le comment font sens, ils permettent de transcender la brutalité du monde, en une attention intègre à la fragilité des choses, à la singularité d’autrui. Voilà pourquoi, acceptez ce livre et le reste comme un cadeau. Une invitation à agrandir le cercle, la tribu, sur le mode de la conversation empreinte de pudeur et de probité.

Quatre petites photos émaillent ce texte, parce qu’il n’y a pas eu moyen de les glisser ailleurs faute de genres, mais elles importent. Elles disent la sororité dans les champs de Corrèze, la vivacité des contrastes, la joie du travail bien fait, toujours en équipe, la puissance des symboles, surtout si c’est la lune, qui appartient à chacun.e.

Plus loin, en une succession d’images soigneusement catégorisées, on se promènera dans les collections de Marine Serre de l’alpha à l’oméga. On y lit en filigrane ses quatre lignes toutes traversées par ce processus volontaire de régénération, qui pourrait s’appeler l’upcycling si le mot n’était galvaudé. Ses archives ainsi triées, classées, redécouvertes parfois, répertorient La White, Gold, Red, Borderline, redéfinies par les matières qui les composent et les traversent. Lesquelles sont l’essence même de Marine Serre, des icônes. Voyez le voyage qu’elles ont parcouru passant entre les mains de chaque précieux maillon de la maison, qui les récupèrent, les adoptent, prennent soin d’elles, les triturent avec amour pour leur redonner vie et forme, sans jamais ignorer d’où elles viennent, ce qu’elles comportent de traces, le poids de leur histoire, la force de leur répertoire ainsi revisité avec une grande liberté, qui n’interdit jamais le respect.

En un mouvement fécond, ces quatre premières années enracinent les fondements de Marine Serre. Elle y voit des piliers, des pierres angulaires, des points que l’on pourrait relier entre eux, « mais il n’y aurait jamais une seule voie possible ». Et puisque les matières induisent les silhouettes et donc les vêtements, elles forment des chapitres qui n’ont rien d’imperméables. L’hybridité est ici au cœur de l’esthétique et de l’éthique. En véritable genèse d’une collection qui se poursuit de saison en saison, dans la continuité, permettant le rebond et la fluide narration. On retrouve le fleece bedcover, le cuir, le denim, la moire, les foulards en soie, les couvertures et écharpes en tartan, les pull-overs, les t-shirts, les carpettes, le linge de maison, le workwear, le tailoring. Tout a du sens. Et le mix éclectique se fait au feeling. Cela demande du doigté – être à l’écoute, surtout, de ce qui résonne dans ces foulards, ce jersey, ces pantalons en jean, ces couvertures de peu, cette maille usitée, ces tapis brocardés, ces cuirs patinés, ces essuies abandonnés, ces vêtements de travail, ces fils torsadés, recomposés. Ajoutez à cela l’éventuelle abondance, l’éventuelle pénurie au sein des Warehouses où la maison source ses matières à régénérer – son identité. Il n’y a chez Marine Serre aucune fascination pour le passé, pas de nostalgie mais un amour du grain et du corps, des étoffes, des trames, une soif d’apprendre inextinguible et une déférence décomplexée pour la transmission. Elle a dès lors inscrit sa vision artisanale dans l’industrie de la mode, cela a certes des airs de défi, là réside sa grâce. Puissions-nous nous en inspirer. A l’image de ces femmes, de ces hommes, de ces enfants, de ces chiens, de ces chats qui vivent en Marine Serre. Parce que c’était eux, parce que c’était elle. Ils forment le noyau de sa tribu, le cœur de son cercle qui ne demande qu’à s’agrandir. Nul besoin d’initiation, juste l’envie et le goût de s’approprier ses archétypes au quotidien, de manière intime, sensible et joyeuse. Au détour de ces pages, vous croiserez ces êtres qui ont entamé cette conversation avec Marine Serre, dans des portraits vibratoires qui ont la beauté nue des confidences. Ils incarnent à leur manière, si particulière, son intemporalité contemporaine. Mus par un même élan, ils interprètent au plus près ses cores, ses cornerstones, ses piliers, ses pierres angulaires, ses fondations qu’elle a choisies dès l’origine, avec une grande indépendance, et qu’aujourd’hui, avec l’énergie qui la caractérise, elle décide de re-choisir. Ce n’est pas une vaine promesse.

Anne-Françoise Moyson

Fleece bedcover

Une matière doudou dans laquelle se lover. A l’origine, il s’agit souvent d’un couvre-lit, qui a généralement terminé piteusement sa vie de couvre-lit. Un objet sans grande valeur condamné à une petite mort. Avec Marine Serre, il revient de loin. Et de son utilité première découle un vêtement de mode, un vêtement fonctionnel. De bedcover à redcarpet. La gamme des possibles est vaste, les transformations, audacieuses. L’idée de cocon cependant jamais ne s’évapore.

Leather Cuir

Sensation de peau sur peau, double armure. Synonymes : la force, la radicalité, l’intemporalité. Et peut-être même, sous entendue, une intention de rébellion. Impression d’invincibilité. D’autant plus que le cuir ne s’use pas. Mieux, il se déforme et finit par épouser le corps. Suit le moindre de vos gestes. Additionne les références stylistiques. Se colle à tous les genres. Pare également le mobilier. Traverse les âges. Se prête à la résistance.

Moire

Recouvrait les murs des appartements bourgeois. Et sous Napoléon III, existait en version jupon moiré. « Je cherchais mon nylon à moi ». Marine Serre l’a trouvé dans ces fils torsadés au rendu psychédélique, à la main si particulière, à la brillance presque cheap. Etoffe aimée dès l’origine et jusqu’à aujourd’hui en une continuité ininterrompue. Se prête merveilleusement à l’hybridation, à la tension et à la contraction entre sportswear et artisanat sublime.

Silk scarves

Des foulards en soie, fibre naturelle, légère, sensuelle. Objet transgénérationnel, objet transitionnel, concentré d’élégance. En archéologue fervente, Marine Serre les collectionne depuis toujours. Ils lui ont permis de briser la glace de l’upcycling, un vrai risque. Laisser les couleurs faire leur œuvre. S’en saisir à pleine main. Les classer en palettes dégradées – vert chasseur, orange feu – jusqu’à l’harmonie. Forcément, tout cela finit en robe, en flou, en drapé.

Denim

Ou De Nîmes. Ou Jean. Pas n’importe lequel. Rien que des pantalons, pièces archétypales aux codes rivetés dans l’inconscient collectif. Plus quotidien que le quotidien. Le twist ici tient dans la construction d’un jean patchwork composé uniquement d’autres jeans en 100 % denim, seul le coton est admis. Forcément, ils ont vécu. Et régénérés, parfois surteints naturellement, ils portent la marque de leur vie antérieure, sans rigidité. Laissant la place à la singularité et à la pérennité.

Tartan scarves

Des rayures horizontales et verticales de couleurs différentes pour des écharpes et des couvertures au motif originellement clanique. Cache-nez tombés en désuétude, plaids abandonnés dans le coffre d’une voiture qui rappellent l’enfance et les déjeuners sur l’herbe. Souvenirs de pique-nique, imaginaire écossais, appartenance punk. A sauver de l’oubli. Si ces tartans sont métissés, fusionnés au jersey ainsi hybridé, c’est par goût du réalisme et des corps en mouvement.

T-shirt patchwork

Des t-shirts de tous les jours. Avec logo. Qui disent quelque chose de ceux qui les arborent. Réminiscences d’un moment ou d’une dream team – cross, concert, manifestation, équipe de foot, tout un symbole en tricot. Une fascination chez Marine Serre. Nécessite un travail de placement, en cohérence. Incrustations d’imprimés réfléchies. Close-up sur un discours dévoilé, porté à même la peau – « What can I do for you today ? ».

Carpets

Des tapis venus du monde entier, sans craindre le voyage. Des serviettes qui servent à essuyer les pieds, le corps. Des nappes en brocard, en jacquard, souvent effrangées. Une vraie matière, qui ne cache ni son grain ni son origine artisanale. Faire tapisserie. Honorer le passé au présent. Réécrire l’histoire. Imaginer un cadre pour mieux repousser les limites. La créativité s’invite dans le pragmatisme. Fatalement, cela fait des étincelles.

Pull-overs

Baptisés crazy pull-overs à défaut de case ad hoc. Des tricots en laine impossibles à ranger dans une catégorie. Conjugués avec nonchalance aux mailles irlandaises infiniment codifiées. Ils se prêtent à toutes les expérimentations. L’entrelacement des fils, la juxtaposition des points, la géographie des motifs permettent les rapprochements inédits, les associations fécondes. Entre les lignes, on lira le lent processus de transformation.

Household linen

Tout ce qui décore la maison et habille le corps la nuit. Nappes en crochet, rideaux à l’identique, torchons, napperons, draps de lit, housses de coussin et nuisettes en polyester avec dentelles. Un même univers blanc. Parfois parsemé de motifs floraux. Leur utilité intrinsèque n’interdit pas la minutie, au contraire. C’est cela qu’aime Marine Serre. Et les transparences, les opacités différentes, les techniques oubliées, un parfum de pureté, quelque chose aussi de l’ordre du cérémonial.

Workwear

Un vêtement utilitaire. Pensé pour le travail. Où prime la fonctionnalité. En tête du classement, la veste multipoche en sergé beige du grand-père pêcheur du dimanche, la référence. Puis vient la suite du vestiaire, si précis. Pas question ici de bricoler, chaque détail compte, zip, poches, attaches, volumes compris. Un vrai casse-tête. Ne pas perdre l’équilibre surtout. Depuis les débuts, Marine Serre œuvre sur son archétype et aujourd’hui revient à son essence.

Tailoring

Ni une étoffe ni une matière mais une catégorie qui fait sens. Inscrite dans une grammaire intime composée d’uniformes et de stricte élégance. Parmi tout Marine Serre, le tailoring est le seul à ne pas être régénéré stricto sensu. Mais pour ne pas déroger aux principes de base, la matière est faite de fils recyclés avec un imprimé losange qui décline désormais la lune en motifs géométriques tendant vers l’abstraction. Pour le reste, se porte en duo, en famille, en collectif, qui rappelle la puissance de la tribu.