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Hommage à Pierre Cardin

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La journaliste et écrivaine Théodora Aspart rend hommage au plus grand couturier du XXe siècle, dont le nom est devenu l’un des symboles de l’époque et a ouvert la voie à l’innovation et au changement dans l’industrie de la mode.

Credit photo : D.R Maison Pierre Cardin

C’est un nom dont le simple énoncé convoque une nuée d’images hétéroclites, fragments composites d’une vision singulière de la modernité. Pierre Cardin, ou la création d’un style futuriste et pop, taillé pour la jeunesse des années soixante et des suivantes. Pierre Cardin, ou l’avènement des lignes géométriques, des motifs hypnotiques et des vêtements à hublot semblant avoir été dessinés pour la vie en orbite. Pierre Cardin, ou la force de l’utopie incarnée ici, dans une mode cosmique, là, dans un palais Bulles onirique. Pierre Cardin, ou l’invention, à coups de milliers de produits étonnamment variés, d’un mode de vie griffé. « J’ai toujours eu la tête dans le futur », disait le couturier constamment en avance sur son temps, voué, comme tous les visionnaires, à parfois voir ses intuitions décriées avant d’être célébrées.

Pierre Cardin s’est éteint le 29 décembre 2020, à l’âge de 98 ans. Il venait de fêter le 70ème anniversaire de sa maison de couture, fondée au 10, rue Richepanse (rebaptisée rue du Chevalier de Saint-George), dans le 8ème arrondissement de Paris. La signature dont il avait fait une marque connue dans tous les pays était avant tout une version francisée de son nom de naissance, Pietro Costante Cardin : le nom d’un enfant né dans un village de Vénétie le 2 juillet 1922, et élevé dans le centre de la France par des parents qui avaient fui l’Italie fasciste.

Acteur? Danseur? Couturier? Au lendemain de la guerre, le jeune Pierre Cardin s’imagine devenir tout cela à la fois – alors même qu’il suit une formation de comptable. La rencontre qui change tout, c’est celle de cette cartomancienne qui, non contente de lui prédire un destin exceptionnel, y contribue en l’adressant à un ami qui travaille au sein de la maison de couture Jeanne Paquin. Pierre Cardin arrive à Paris en 1945, entre chez Paquin, rencontre Jean Cocteau, qui lui propose de réaliser les costumes de son film La Belle et la Bête, passe par les ateliers de Schiaparelli, puis devient le premier tailleur de Christian Dior, qui vient d’ouvrir sa maison et s’apprête à établir les nouveaux canons de la mode grâce à une révolution nommée New Look.

En 1953, après trois années consacrées aux costumes de théâtre, Pierre Cardin présente sa collection inaugurale. Ses silhouettes abstraites et ses coupes sculpturales ne sont que l’un de ses signes distinctifs. Le couturier innove sur tous les fronts : il est le premier à lancer une ligne masculine, en 1960, à proposer ses collections de prêt-à-porter à un grand magasin, en 1962 (« Je croyais beaucoup à la grande diffusion, dira-t-il plus tard. Ce n’est pas un déshonneur que de quitter les salons dorés pour aller dans la rue. »), à organiser des défilés à l’international (sur la place Rouge à Moscou, dans la Cité interdite à Pékin…), et à développer une marque globale en apposant ses initiales sur une infinité d’objets diffusés aux quatre coins de la planète, de la maroquinerie au mobilier.

« J’appartiens à l’époque des zazous, des hippies, de Saint-Germain-des-Prés, du temps de Beauvoir, de Sartre et de Gréco. Je suis un dinosaure, et pourtant, le plus ancien couturier aux commandes de sa maison », se réjouissait-il, ces dernières années, tandis qu’il multipliait inlassablement les nouveaux projets. Toujours avec la même conviction : celle que l’audace est l’autre nom de la modernité.