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Worth au Petit Palais

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Avec plus de 400 pièces, une première rétrospective à Paris consacre l’inventeur de la haute couture.

« Inventer la haute couture » : c’est sous ce titre que l’exposition célèbre la naissance d’un métier incarné par ce maître parisien né en Grande Bretagne, et dont la maison du 7 rue de la Paix a magnifié un style autant que des modes, des addictions, et une dynastie, sur quatre générations. 1 100 m2 lui rendent hommage dans les galeries du Petit Palais : cette rétrospective rassemble plus de 400 pièces — robes accessoires, objets d’art, peintures et arts graphiques.  Aux trésors de la collection du Palais Galliera (déjà exposés en 2015), s’ajoutent des pièces rares en provenance de du Philadelphia Museum of Art, le Métropolitan Museum of Art, le Victoria and Albert Museum, le Palazzo Pitti, ainsi que de nombreuses collections privées.  Si le parcours n’est pas des plus faciles, tant les vitrines sont imposantes, la beauté est là, magnifiée par ces robes de bal, ces tenues d’opéra, et toutes ces fabuleuses toilettes portées par Franca Florio, l’Américaine Lady Curzon et l’emblématique comtesse Greffulhe, née Caraman-Chimay, grande animatrice de la vie culturelle de la Belle Époque, et à laquelle Gabrielle Fauré dédia sa Pavane.  « Tout le mystère de sa beauté est dans l'éclat, dans l'énigme surtout de ses yeux. Je n'ai jamais vu une femme aussi belle", écrivait en 1893 Marcel Proust au poète et dandy Robert de Montesquiou. Lui-même inspiré par la fameuse robe aux lys signée Worth, il écrivit à cette muse : « Comme un beau lys d’argent aux yeux de pistils noirs Ainsi vous fleurissez profonde et liliale et tout autour de vous, la troupe filiale des fleurettes s’incline ». Dans la Recherche du Temps Perdu de Proust, elle devient la Duchesse de Guermantes. Entrée au musée par un don de la famille Gramont -héritière de la comtesse Greffulhe en 1978-, la robe aux lys est l’un des chefs d’œuvre des collections XIXe du Palais Galliera, musée de la Mode de Paris. Exposée il y a dix ans, la voici qui resplendit, restaurée, avec son corset baleine et son faux cul, prodige de la fameuse « coupe princesse » sans couture à la taille : elle a fait l’objet d’une commande de la part de la comtesse Greffulhe à Jean-Philippe Worth, en 1896, -alors qu’il avait pris la direction de la maison de couture de son père Charles Frederick Worth.  

 

Garnitures, dentelles crinolines, capes du soir, livres de soyeux, croquis, et même tenues de travestissement, ruchés et falbalas. L’ensemble est impressionnant tant il dépasse le cadre traditionnel associant Worth à Sissi Impératrice, avec notamment l’entrée de Paul Poiret chez ce maître de la séduction, et une évocation des maisons de la rue de la Paix, Paquin, Doucet. Le parcours se poursuit. Aux corsets s’opposent alors les robes droites en lamé de soie finement constellées de paillettes…La force de l’exposition est de remettre à l’honneur toutes ces créations, celles qui notamment ont fait de Worth un pionnier. « Têtes couronnées, aristocrates, grandes bourgeoises, actrices et demi-mondaines : toutes se pressent à la maison Worth pour solliciter les talents de « l’homme-couturier » aux créations désormais revendiquées », souligne Raphaëlle Martin Pigalle, l’une des trois commissaires de l’exposition. « Si l’art influence ainsi la mode, la mode n’est pas sans impacter le monde de l’art, de la peinture en particulier. En 1858, année d’ouverture des salons Worth au 7, rue de la Paix, Théophile Gautier consacre un essai à l’esthétique moderne (« De la mode ») et encourage les peintres à puiser leur inspiration dans les toilettes chatoyantes de bal, les silhouettes, modèles et autres étoffes nouvellement façonnés. Les croisements entre mode et peinture deviennent incessants ». 

 

Deux ans de restauration, quatre ans de travail témoignent de ces efforts pour mettre en avant des techniques, autant que la prolongation d’un succès qui se manifeste jusque dans les années vingt.  « Une des plus anciennes maisons de couture et néanmoins l’une de celles qui ont su le mieux non seulement s’adapter au goût moderne mais encore le devancer l’inspirer, telle est la meilleure définition de Worth » assure Vogue France le 1er avril 1924. De quoi réfléchir sur ce qui fait l’ADN d’une maison, et ce qui lui survit, ou pas, au-delà d’un siècle. 

 

petitpalais.paris.fr, jusqu’au 7 septembre 2025