Claire Hazan (GQ France) : « Faire d'un média masculin à la fois un miroir et un acteur des évolutions sociétales. »

Un grand sourire et les manches retroussées, Claire Hazan a fait des nouveaux formats narratifs le fil rouge de sa carrière. Journaliste - "J'ai rédigé mes premiers articles pour GQ !” - puis productrice, Claire Hazan a navigué dans la presse écrite, la radio et les podcasts puis aujourd’hui chez Condé Nast pour superviser la stratégie éditoriale de la marque GQ. Après dix années passées chez Lagardère, où elle a conduit la transformation numérique et éditoriale de médias comme Première et Europe 1, elle rejoint Spotify France pendant quatre ans. “J’ai toujours évolué aux confins des nouveaux territoires narratifs, là où tout reste à inventer. Le podcast m’a ouvert un champ de liberté inédit : celui de partir à la rencontre de nouveaux talents et d’explorer des voix et des formats innovants." Elle est à l’origine de créations marquantes, comme le documentaire primé Sauce Algérienne ou encore le podcast Canapé Six Places de Lena Situations, devenu numéro un en France. "Lena a pulvérisé les scores d’audience et bouleversé les codes du format. Elle était déterminée à interviewer Anna Wintour, et nous avons réussi. Je n'avais alors aucune idée que quelques mois plus tard, je passerai moi-même un entretien d’embauche avec elle.”

Les médias genrés reflètent depuis longtemps une vision stéréotypée des rôles et des identités. Il suffit de feuilleter les archives des publications à travers le monde pour trouver des normes rigides parfaitement alignées sur les archétypes de leur époque. Aujourd'hui, alors que les représentations du genre ont volé en éclat, se sont enrichies et complexifiées, “les médias masculins deviennent à la fois un miroir et un acteur des changements sociétaux”, résume Claire Hazan. "En rejoignant GQ France, je me suis demandée ce que je venais y chercher. Très vite, la réponse s’est imposée : interroger les représentations des masculinités, en constante évolution. C’est un sujet au cœur des mutations de la société, que nous avons, en tant que média, la responsabilité d’explorer et d’accompagner.” 

Le mensuel qu'elle supervise est un savant mélange holistique - l'umami des rubriques presse - de la mode, à la culture, au sport, aux questions sociétales et au bien-être. “On peut à la fois présenter un sujet léger du type ‘Comment rester stylé en été’ et un article de fond sur l'infertilité masculine. Ce que j'apprécie vraiment, c'est ce mélange de profondeur et de légèreté, un équilibre qui reste assez rare dans les médias français.”

La couverture – la “cover” – est le centre nerveux du mensuel, sa vitrine, sa porte d’entrée. “Pour ma première cover, on m’a mille fois demandé ce que j’allais faire, comme s’il fallait immédiatement tout bouleverser. Au départ, j’ai eu envie de résister à cette idée, de ne pas chercher le coup d’éclat. Puis j'ai pensé à Shay, et c'était une évidence : à la fois moderne et puissant. C'était la bonne chose à faire à ce moment précis." Shay, consacrée artiste de l'année et révélation scénique aux Flammes 2025, rappeuse auteure-compositrice-interprète incontournable du paysage culturel francophone, s’est ainsi retrouvée en cover de l’édition de mars 2025 de GQ France, photographiée par William Arcand, pour le premier numéro signé par Claire Hazan. "Shay est une femme qui a brisé les plafonds de verre de son genre mais aussi de son milieu professionnel. Une rappeuse critiquée pour être trop sexy, que nous avons imaginée dans un styling très masculin.  La mode est un moyen de défier les attentes, renverser les stéréotypes. C’est l’une des nombreuses histoires que ces images racontent." explique-t-elle en feuilletant le magazine. L'objectif  n’est pas de dicter une nouvelle norme, mais d’élargir le champ des possibles. "Nous sommes là pour montrer des choses différentes, et c’est à chacun de piocher en fonction de ce qu’il a envie d’être.” Elle ajoute : "Je voulais que Shay figure sur la couverture parce qu'elle est une icône. Pas seulement parce qu'elle est une femme. Pas seulement parce qu'elle est une femme noire. Mais parce qu'elle est une icône culturelle de notre époque".

"Je veux mettre en lumière des personnalités dont les aspérités racontent une histoire sur la société.”

En avril 2025, le footballeur prodige Paul Pogba sort de l’ombre et choisit GQ France comme plateforme d’expression exclusive mondiale. "Nous avons fait plus que mettre un footballeur en couverture : nous avons partagé l’histoire d’un héros qui a traversé un désert et qui passe de l'obscurité à la lumière.” Suspendu 18 mois - “l'équivalent de plusieurs années dans la carrière d'un footballeur” - il avait d’abord été condamné à quatre ans pour dopage, avant que le Tribunal Arbitral du Sport ne reconnaisse que la substance provenait d’un complément prescrit par son médecin. Et sur la cover, on le voit de face, occupant tout l’espace qu’il n’aurait jamais voulu quitter et qu’il reconquiert aujourd’hui, menton relevé, regard tourné vers l’horizon. “J’ai voulu que les images restent sobres pour laisser la place à ce récit, et nous avons travaillé avec le photographe Kenny Germé en ce sens.”

“GQ est une marque globale dotée d'un puissant réseau, ce qui nous permet de délivrer un message fort et unifié”, déclare Claire Hazan, en présentant les trois couvertures du numéro d’été 2025 - publié simultanément dans plusieurs éditions internationales. On y retrouve les acteurs stars du film “F1”, réalisé par Joseph Kosinski et sorti en salles le 25 juin en France. "Nous coordonnons ce type de lancement global une ou deux fois par an : chaque marché développe son propre contenu éditorial, mais nous nous alignons sur la ou les couvertures. Et honnêtement, qui dirait non à Brad Pitt ?"

"J'aime l'idée de construire et de faire grandir une famille de talents créatifs autour de nous."

Un magazine rassemble une multitude de métiers qui doivent s’aligner autour d’une vision éditoriale et artistique commune: rédacteurs, photographes, stylistes, designers, pour n’en nommer qu’une poignée. "J'aime l'idée de faire grandir une famille de talents créatifs autour de nous. Une partie de mon travail consiste à faire en sorte que tout le monde raconte la même histoire.” Un tour de force, tant chaque métier possède son propre langage. "Les différents postes que j’ai occupés pouvaient sembler disparates sur le moment, mais m’ont en réalité permis de comprendre les sensibilités de chacun et de les fédérer vers une même direction.”

"La mode, le sport, les sujets sociétaux et culturels s’entremêlent de plus en plus. Peu de marques médias naviguent aussi naturellement que GQ parmi ces croisements. Nous sommes là pour inspirer, pas pour dicter : être une référence style et culture, sans jamais enfermer les lecteurs dans un mode d’emploi.” Sous la direction de Claire Hazan, GQ France s'affirme comme une plateforme d'expression ouverte, nourrie par des talents de tous horizons, une diversité de voix et une énergie créative audacieuse.

Reuben Attia