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Dans les yeux de Cloé Pitiot

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La sensibilité au corps

« Réveiller des émotions inconnues » Commissaire de l’exposition Iris Van Herpen , Cloé Pitiot met au service de l’imaginaire le sien, au cœur d’une exposition événement qui fait date, avec un parcours sonore spécifique signé Salvador Breed. Au musée des Arts Décoratifs, une centaine de pièces de haute couture célèbrent dans un dialogue avec l’art, autant qu’avec des pièces provenant des sciences naturelles, fossiles, coraux, l’extraordinaire puissance de la création. Entre métamorphose et artisanat, bulles suspendues dans l’espace et cabinet de curiosités, « L’eau et les rêves », « La vie des profondeurs », « Les forces du vivant » comptent parmi les neuf sections de cette rétrospective inédite venue transgresser les codes de la représentation muséale. Le succès est là avec plus de 118 000 visiteurs entre le 29 novembre et le 18 janvier.

 

Un parcours hybride

 

« Architecte DPLG, j’ai fait mes études à Nancy et à Venise pour finir par un doctorat sur Jean Philippe Lenclos, coloriste conseil. En parallèle, de 2000 à 2009 j’ai été illustratrice de carnets de voyage. Je partais parcourir le monde avec mon sac à dos puis, en 2010, je suis entrée comme conservatrice design au Centre Pompidou où je suis restée jusqu’en 2018. Depuis, j’ai intégré le musée des Arts décoratifs où je m’occupe des collections Art Déco et Design.

 

Une expo sur mesure 

 

Pour cette exposition « Iris Van Herpen : Sculpting the senses », dont je suis commissaire, j’ai travaillé avec Louise Curtis, assistante de conservation dans notre département et commissaire associée. L’idée de ce projet émane d’Olivier Gabet, qui m’a accordé sa confiance alors que je ne me sentais pas nécessairement légitime pour parler de mode. Je ne le remercierai jamais assez. Être architecte et conservateur design, permettait à ses yeux de faire un pas de côté. Il s’agissait de changer le regard, d’entrer dans le cerveau de la créatrice, de comprendre ses sources d’inspiration, d’initier un dialogue qui dure depuis plus de cinq ans maintenant. Il savait qu’Iris van Herpen travaillait en collaboration avec des artistes et des scientifiques. Je n’avais pas les compétences pour l’inscrire dans une exposition rétrospective, pour la replacer dans l’histoire de la mode mais je souhaitais transmettre ses inspirations, son univers, son approche, sa sensibilité.

 

La genèse d’un parcours immersif  

 

Nos personnalités se répondent bien, avec des passions communes, et une hypersensibilité. Nous avons travaillé à partir de moodboards, dans un échange très généreux, très ouvert sur tous les champs qu’elle pouvait explorer, littérature, philosophie, voyages, sciences. Nous avons conçu cette exposition de manière expérimentale. Nous avons abordé le sujet d’une manière autant scientifique qu’émotionnelle, en réfléchissant, au son, aux couleurs, aux textures, dans un dialogue esthétique.  

 

A l’école des sens 

 

On a conçu cette exposition d’une manière immersive. Nous voulions que le public sorte de l’exposition en ayant vécu une expérience. Nous avons fait appel à nos expériences de rêve lucide pour elle, d’hypnose pour moi, nous avons étudié des manuscrits à The Embassy of Free Mind (l’Ambassade de l’esprit libre) à Amsterdam. Nous avons réfléchi dans cet esprit de liberté. Puis il y eut des recherches sur les sciences, grâce à son intérêt pour le monde du vivant, les êtres microscopiques, les virus, les bactéries. Nous avons passé des heures à échanger, à travailler dans son atelier, à discuter, à chercher, à penser en équipe avec elle et son assistant Christian Reiche, avec Louise Curtis. Le fait que je sois architecte m’a peut-être permis d'avoir une démarche plus créative dans la conception même de cette exposition que nous avons abordée par la stimulation des sens et des émotions. 

 

Itinérance évolutive 

 

A Brisbane, au nord-est de l’Australie au QAGOMA (Queensland Art Gallery of Modern Art) où l’exposition sera présentée en juin prochain, nous allons, au-delà de la vue et de l’ouïe, faire intervenir le toucher. L’exposition partira ensuite en Asie, pour revenir aux Pays-Bas, au Kunsthal Rotterdam. Ce qui me rend la plus fière, c’est la joie des visiteurs à la sortie de l’exposition, quand j’entends qu’elle a réveillé en eux des émotions inconnues. C’était notre objectif avec Iris van Herpen, offrir de la beauté, de l’onirisme, de l’évasion. Grâce à son œuvre et à sa sensibilité nous avons réalisé une forme de rêve, une exposition qui se vit comme un voyage lointain.

 

Iris Van Herpen, Sculpting the senses. Musée des Arts décoratifs, jusqu’au 28 avril 2024.