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Les 1001 Desseins de L’ABCD’Orsay

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Cette saison, Louis Vuitton reprend ses marques au Musée d'Orsay, où s’était déroulé le défilé Mode Féminine Automne/Hiver 2022-2023. Bien que le musée soit fermé aux visiteurs, comme chaque lundi, et que les invités au défilé ne pourront pas y flâner, une ambitieuse série de dessins de Mathias Augustyniak, cofondateur de M/M Paris avec 

Michaël Amzalag, est à découvrir jusqu’au 12 mars. Installés le long d'une passerelle au 4ème étage, « Les 1001 Desseins de L'ABCD'Orsay » se déclinent en un abécédaire exceptionnel - chaque lettre correspondant à un artiste exposé au musée. Augustyniak, dont la singularité artistique s'exprime dans la conception et le développement d'éléments d'identité visuelle pour Loewe, Charlotte Chesnais, Byredo et Bjork, a passé un an à déambuler à travers les galeries, absorbant, remodelant et dialoguant avec les œuvres dans le cadre d'un exercice contraint mais libre d'interprétation. M exprime Manet, R conçoit Renoir, D décortique Degas... et ainsi de suite, chaque dessin reposant sur une toile de fond de couleur unie, prélevée sur la palette de l'artiste. Augustyniak, dont l'exposition organisée avec Amzalag, En Toutes Lettres, vient de se clôturer à la galerie Air de Paris à Romainville, souligne que son travail "tend toujours à mêler des éléments très personnels dans un contexte commercial ou de la vie courante."

 

Comment est né cet abécédaire artistique ?

J'y songe depuis longtemps. Et je savais qu'il me faudrait du temps pour le concrétiser. Au départ, cette exposition était censée succéder à une exposition beaucoup plus importante au Musée des Arts Décoratifs. J'ai eu le sentiment de ne pas avoir mené à bien mon obsession, qui était d'engager un véritable dialogue avec le musée. C'était extrêmement personnel car, depuis mon plus jeune âge, les musées sont très importants pour moi. Et maintenant, dans le cadre de ma profession, il est très important de se rapporter à l'histoire de l'art. Dans ma pratique, je ne vois pas cela comme une référence, mais comme une connexion à ce qui a été accompli auparavant, pour qu'au final, cela prenne tout son sens. Une telle exposition est très personnelle, mais elle appartient aussi au spectateur et aux artistes qui l'ont précédée.

 

De prime abord, le principe semble simple. Mais sa réalisation a dû être un véritable défi pour vous.

Pendant un an, j'ai voulu parcourir le musée. Je souhaitais découvrir le plus de choses possible. Avant de démarrer, j'ai établi une méthode, de sorte que lorsque je me perdais dans ce processus ambitieux, je pouvais m’y référer. J'ai acheté un cahier, un stylo plume, pour dessiner rapidement quelques détails. Et puis j'ai essayé une lettre. J'ai commencé par le C de Courbet caril demeure, selon moi, l'artiste le plus complexe du 19ème siècle. Si je survivais à Courbet, je serais capable de réaliser tous les autres. Cela me permettait aussi de rencontrer les grandes figures du XIXe siècle, dont Van Gogh. Mais je n'ai pas travaillé par ordre alphabétique - cela aurait été un peu ennuyeux, et je devais me distraire car c'était un long voyage. J'avais besoin d'aller voir Fantin-Latour ou de voir Ingres, qui se situent entre deux siècles. 

Vous êtes confronté à de fortes personnalités et il devient alors délicat de se positionner. Mais finalement, elles ne sont pas si complexes. Lorsque vous êtes face à ces œuvres, elles vibrent et vous êtes toujours en mesure d'engager une conversation artistique avec l'œuvre. Vous pouvez encore progresser et produire quelque chose de nouveau. Ce que je voulais démontrer, c'est que l'art revêt de très nombreux visages. Même si je ne dessinais jamais d'objets en trois dimensions, je m'intéressais à la force de la narration ou à la manière dont une histoire peut être contenue en une image.

 

Que ressentiez-vous en réalisant ces dessins ?

La plupart du temps, j'allais dessiner lorsque le musée était fermé - le lundi - parce que j'avais besoin de me concentrer - quatre heures dans une galerie vide, en tête-à-tête avec l’œuvre. Cela peut sembler un brin fétichiste, mais le simple fait d'avoir un carnet de notes et un stylo plume me donnait l'impression d'une relation psychanalytique, comme si je menais un entretien avec l'artiste. J'avais l'impression d'être un sismographe, que mon stylo était presque un conduit - essayant de reproduire la vibration que je percevais dans l'œuvre. Cela peut sembler un peu fantaisiste, mais à un certain moment, c'était réellement le cas. Vous oubliez presque que vous êtes ce que vous êtes. 

Même si j'utilisais toujours la même technique, j'essayais de traduire la technique du peintre - vous obtenez donc le vibrato de Pissarro, qui ne sera pas le même que celui de Toulouse Lautrec, où je devais représenter la vitesse de la vie. Il réalisait ses œuvres extrêmement rapidement.

 

Qu'espérez-vous que les visiteurs découvrent à travers ces lettres ?

Il était important pour moi que les dessins paraissent très instinctifs et simples. Pour mener à bien cet exercice, vous devez connaître l'histoire de l'art et toute sa densité. Sans quoi vous risquez de vous perdre en chemin. Il faut connaître chaque artiste un tant soit peu pour réussir. C'était une lutte constante : est-ce que j'en sais assez ou est-ce que j'en sais trop ? 

Au fond, je souhaitais concevoir une exposition très linéaire et fluide, qui puisse être parcourue en dix minutes. Comme lorsqu'ils courent à travers le Louvre dans le film « Bande à part ». Les œuvres sont si denses et chargées d'énergie. Je voulais dire au spectateur que l'on peut se perdre dans le musée et y passer dix heures, mais qu'entrer et sortir est déjà suffisant - et nécessaire.

 

Comment avez-vous obtenu chaque couleur ?

La couleur était une manière de clarifier la proposition ; en fonction de chaque artiste et de chaque œuvre, je voulais synthétiser la palette de couleurs de leur travail. Bien sûr, il y a eu une tentative de personnification, mais pour Rosa Bonheur, le bleu ciel, pour Seurat, le jaune, une couleur solaire. Ou Fantin Latour, c'était les salles obscures où les gens se rencontraient. Pour Hammershøi, il fallait transcrire la vibration de la couleur. La couleur structure le dessin. Essentiellement, elle apporte de la chair au squelette. Et puis à la fin, dans le couloir, nous sommes revenus aux cadres que nous avions conçus. Cette sensation du train qui était vraiment très importante pour moi étant donné que le musée d'Orsay a été construit comme une gare mais aussi c'est le TGV qui m'a transporté de la province où j'habitais jusqu'au cœur de Paris et qui m'a permis de me rendre au musée.

 

Comment un exercice comme celui-ci catalyse-t-il ou inspire-t-il votre travail commercial ?

Dans notre métier, il faut constamment se remettre en question. Vous pouvez facilement fabriquer une nouvelle identité. Le défi n'est pas seulement la réalisation, mais aussi la logique de cette réalisation. De plus en plus, nous devons être extrêmement précis pour condenser, proposer et créer une proposition qui aura une incidence sur la réalité. Il est important de se nourrir constamment du temps présent mais aussi de voir le passé comme un moment vivant de l'humanité et pas seulement comme un souvenir, une projection nostalgique.

Ce qui est très intéressant dans un musée comme le Musée d'Orsay, c'est que vous pouvez dialoguer, vivement. Au XIXe siècle, l'art était encore obnubilé par la représentation de la figure humaine. 

 

 

Cette interview a été éditée pour des raisons de longueur et de clarté. 

 

Les 1001 Desseins de L'ABCD'Orsay, 26 desseins de Mathias Augustyniak, une exposition M/M Paris présentée jusqu'au 12 mars au Musée d'Orsay à Paris.