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Sarah Moon: PasséPrésent

Focus

Du 18 septembre 2020 au 10 janvier 2021, Le Musée d’Art Moderne de Paris présente l’exposition « PasséPrésent » autour de l’œuvre de Sarah Moon.  


Pouvez-vous nous parler de l’origine de l’exposition? Comment est-elle née?
Cette exposition est née de la rencontre il y a quelques années entre Sarah Moon et Fabrice Hergott. Le MAM acquiert et expose les plus grands photographes contemporains, comme récemment  Larry Clark, Jan Dibbets ou Ron Amir. Sarah Moon est une photographe d’envergure internationale. Elle a bénéficié très tôt de cette reconnaissance, à travers des campagnes de mode devenues emblématiques dans les années soixante-dix. Cette notoriété l’a amenée à être publiée et exposée à travers le monde, de New York à Tokyo, en passant bien sûr par la France, avec des expositions monographiques à la Maison Européenne de la Photographie, ou encore aux Rencontres d’Arles. Mais en étant accueillie au MAM, musée ouvert et pluriel sur l’art moderne et contemporain, nous affirmons que l’œuvre de cette photographe n’est pas seulement essentiel pour l’histoire de la photographie, mais pour l’histoire de la création en général.

Quelle est la place de la photographie de mode dans le travail de Sarah Moon? Plus largement, quel rapport entretient-elle avec la mode, entendue comme industrie et comme vêtement?
La mode est un élément majeur du parcours de Sarah Moon. C’est en travaillant d’abord comme mannequin qu’elle rencontre cet univers dans le courant des années 1960, et elle s’initie à la photographie en autodidacte, en prenant ses collègues en photo durant les longues heures d’essayage. Par le biais d’un photographe de mode pour L’Express, Jean-Régis Roustan, elle reçoit sa première commande pour un remplacement. Puis l’arrivée de Corinne Sarrut à la direction artistique de Cacharel en 1968, et sa collaboration avec Sarah Moon pour façonner l’image de cette marque, propulse la photographe vers une renommée internationale. Pendant près de vingt ans, elle travaille presque exclusivement pour l’industrie de la mode, et définit un univers immédiatement reconnaissable, marqué par son intérêt pour le cinéma expressionniste allemand. Les mannequins ne sont plus simplement convoquées pour promouvoir un vêtement, mais semblent émerger d’un récit fictionnel dont Sarah Moon ne prélève qu’un instant. « Ce qui me plaît, c’est le personnage que la robe incarne. Le vêtement offre un rôle à la femme qui le porte, comme un costume. », dit Sarah Moon. Si à partir du milieu des années 1980, elle élargit sa pratique photographique et cinématographique au-delà des commandes pour la mode, celles-ci continuent à affluer, et l’artiste n’établit pas de frontière entre toutes ces disciplines. De nombreuses photographies de mode jalonnent le parcours de l’exposition « Sarah Moon. PasséPrésent ».

Comme le défend l’exposition, la temporalité de Sarah Moon semble se définir par le concept de « PasséPrésent ». En cela, son rapport au temps n’est-il pas similaire au temps de mode, lui-même constamment pris entre passé et présent?
C’est en effet le tour de force et le mystère des photographies de Sarah Moon. Comment parvient-elle à faire accepter ses photographies, qui brouillent les marqueurs temporels, et que l’on ne parvient que difficilement à dater, dans l’industrie de la mode, qui s’affirme par l’évolution rapide des tendances, leurs confrontations, leurs ruptures ? Le titre de l’exposition implique de revoir nos valeurs temporelles, et leurs classifications. Le temps de Sarah Moon est le « passéprésent » : un concept en boucle comme dans les contes de Lewis Carroll, venu fissurer et entremêler une temporalité trop rectiligne. C’est sans doute ce qui fascine le monde de la mode dans cet univers, la quête de l’atemporel dans l’instant présent.

Pourriez-vous choisir une photographie représentative de ce concept et la commenter avec nous?
La photographie Anatomie (1997) témoigne bien du trouble temporel que nous évoquons, comme du statut particulier que Sarah Moon donne à la photographie de mode. Cette œuvre date des années 1990, et elle est issue d’une commande pour une collection de Christian Lacroix. Le cadrage de la photo, centré sur le corset, évacue le visage, la chevelure ou les mains, pour ne retenir que l’aspect sculptural de l’armature du vêtement.  Une hésitation surgit dans la perception du visiteur : regardons-nous un mannequin de chair et d’os, ou un objet inanimé ? Quand a pu être prise cette photographie ? La technique utilisée par Sarah Moon, à partir du négatif polaroid, enregistre très sensiblement les accidents, griffures, traces de doigts. Le cliché semble ainsi exhumé d’une époque lointaine, alors qu’il nous est relativement contemporain. La matière est vivante tandis que le personnage est fantomatique. Ces questionnements, au-delà du regard posé sur le vêtement, génèrent une dimension fictionnelle qui s’inscrit dans l’imaginaire de chaque visiteur.

 Anatomie © Sarah Moon, 1997