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Paris - Jukebox des masculinités

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Du 16 au 21 janvier, grandes maisons et jeunes créateur·rices, ont présenté à Paris leur vision du vestiaire homme automne hiver 2024-2025. Entre extravagance et simplicité, expérimentation et construction de basiques, vêtement couture et pièces fonctionnels : les propositions sont éclectiques, parfois hybrides, brossant un champ masculin à entrées multiples. Par Manon Renault.

Chemise col lavallière néon, pull à jacquard porté avec des pantalons de jogging, et jeans à double ceinture trompe-l’œil : des basiques twistés et hétéroclites se rencontrent et fusionnent sur le podium de la maison Loewe ou le directeur artistique Jonathan Anderson questionne l'impact des réseaux sociaux numérique sur la culture visuelle, et par extension le désir vestimentaire à l'heure du supermarché post-Instagram du style.

Pince-sans-rire, et inventif, la collection prend à la lettre l'idée de collage et multiplie les pièces 2en1 comme ces socquettes blanches fusionnées avec des tennis mauves. Ici, l’humour, la réflexion montre la force de la création, et met à mal l’algorithme, à l'heure ou le fantasme de l’IA comme instance créatrice envahit les discours. L’IA n’est pourtant qu’un outil.

 

Le jeu mode d’Anderson pose une question plus large : est-il possible de résumer en un algorithme les masculinités présentées dans les collections de la Paris Fashion Week ? La diversité des démarches, profils et maison est-elle garante d’un bug nécessaire ?

 

Réponse à travers les créations de Louis Gabriel Nouchi, Jeanne Friot, Burc Akyol ou encore Adeju Thompson de Lagos Space Programme. Soit la vision d’une jeune scène aux vestiaires post-genre et proposant chacun à leur manière des réflexions sur l'innovation, l'up cycling, le développement textile ou encore la valorisation d’artisanats parisien et extra-européen.

 

 

Réécriture des récits patriarcaux

 

Costume à épaule XXL et taille étouffée : depuis 2017 la silhouette dessinée par Louis Gabriel Nouchi s’est imposée dans la culture visuelle masculine, et cette saison se décline au féminin. « Je développe ma marque en m'appuyant sur les retours et besoin de notre communauté, et la ligne femme était de plus en plus demandée." explique le designer, lauréat du grand prix de l’ANDAM 2023 et d'ajouter « C'était un défi ! il fallait adapter les proportions des trench-coats, le tailloring sans que cela ne fasse gimmick »

Comme pour ses défilés masculins, Nouchi construit un casting inclusif, aux silhouettes plurielles enveloppées dans de larges manteaux en cuir brillant, costume tailoring bleu nuit ou top composé de jacquard en fil coupés donnant un aspect fourrure.

Sur le podium les pièces adaptées pour la femme s’articulent à celle de l'homme dans un questionnement plus large sur la réussite et le pourvoir, inspiré par le roman Bel-Ami (1855) de Guy de Maupassant. Collection spectacle fusionné à une rencontre littéraire, l’arrivisme de Georges Duroy se devine dans les pinces cravate doré, ou encore des bracelets ornés de pièces, donnant l’impression d’un avoir plein les poches « C’est une réflexion sur le statut de l'homme dans la société, et la notion de succès et le pouvoir associé. Dans le vestiaire homme du XIX, le costume est quelque chose qui se loue, comme pour louer un statut social. Qu’en est-il en 2023 ? C'était aussi en moyen de réfléchir à la place des femmes dans les récits de réussites » explique le designer dont les collections peuvent être lues comme de relecture Queer réparatrice de narration patriarcale. La formule Nouchi combinant innovation textile, et questionnement de l'écriture passé des masculinités pour écrire un récit queer transposé dans un vestiaire abordable garanti le succès de ce dernier, fortement applaudi -

 

Absence de récits

 

La saison dernière la créatrice Jeanne Friot questionnait elle aussi l'écriture des grands classiques en s'intéressant à La Petite Sirène d’Andersen, relu avec une collection genderfluid composée de large jupe en jean et basique tel que le bombers qui se décline de saisons en saison chez Friot. Cette saison, la jeune créatrice figurant parmi les rares noms féminins au calendrier homme - Isabel Marant, Chitose Abe chez Sacai ; choisit de conjuguer dire intime et création en parlant de son histoire d'amour avec Delphine. La collection prend le thème de la fusion des vestiaires dans le quotidien du couple et se traduit dans une riche collection combinant workwear, robe du soir, pièce expérimentale et basique. Entre noir et violet – couleur symbolisant le lesbianisme, la collection s’inscrit dans le questionnement entamé depuis 2020 par Friot, : « Proposer une autre vision de ce que pourrait être la mode masculine. Si on a souvent montré la femme s’emparer du vestiaire masculin, il est tant de faire la même chose de l’autre côté pour que tout le monde puisse être libre de choisir » Jeanne Friot

 

C’est aussi cette liberté du choix masculin qui au cœur de la démarche du créateur queer originaire du Lagos, Adeju Thompson. Cette saison, son label Lagos Space Programme fondé en 2018, propose de penser les ponts entre la culture Britannique et nigerienne, donnant à réfléchir la tension entre homogénéisation globale, et réception locale situées. Ce geste fait partie de la démarche de décolonisation de la mode défendue par le créateur. Ici de vêtement s’inspire de ceux portés dans le sud ouest du Nigeria lors du festival Ojude Oba fusionné avec des codes britanniques. « J'ai imaginé l’histoire d’un jeune dandy britannique qui se rend au festival. On retrouve de coupe tailoring mais aussi de la dentelle et des jacquards fleuris : c’est une démarche à la fois queer et décoloniale ». Si Friot explore la fusion dans le vestiaire d’un couple, c’est ici la fusion d’un vestiaire pluri culturelle qui se tisse. Une démarche d’hybridité également motrice du vestiaire de la Britannique d’origine jamaïcaine Wales Bonner, qui présentait au Conservatoire national des arts une relecture du vestiaire preppy américain inspiré par un séjour à l’université américaine Howard, première faculté à former des Noirs américains.

 

Les flux humain et culturel, forge la richesse des vestiaires, et notamment le mythe de la garde-robe parisienne comme le rappel de son côté Burc Akyol. Le franco-turc, originaire de Dreux s’est ici rappelé son adolescence « La culture visuelle des années 1990 était composite, et cela à sans doute forger la démarche créative de la nouvelle génération » souligne celui qui depuis 2019 propose avec son evening wear haute gamme, de déconstruire les stéréotypes orientalistes. Cette saison il franchit une nouvelle étape avec un vestiaire diurne et nocturne allant du jean à la robe de tapis rouge. Il reprend notamment un chemisier rose au vestiaire de Demi Moore dans Ghost expliquant « Pour moi cette image américaine raconte aussi le chic parisien. Depuis plusieurs décennies la scène parisienne est plurielle et aujourd’hui cela se traduit aussi au niveau des créateurs de mode. Il y a une cour jeune qui arrive, c’est exaltant et montre que le visage parisien est varié » conclut-il

 

Une pluralité de scènes au profit de la mode masculine

 

C’est en effet de l’articulation des scènes mode que Paris tire sa richesse et attractivité. C’est déjà ce trait que soulignait Pierre Bourdieu et Yvette Delsaut en 1975 dans leur article Le couturier et sa griffe : contribution à une théorie de la magie enquêtant sur la montée du prêt-à-porter à Paris à la reconfiguration de la scène.

Paris ne cesse de muter, comme dans un palimpseste, aux scènes cumulées et articulées. La mode expérimentale de Rei Kawakubo avec Comme des garçons dans les années 1980, suivit par les 6 d’Anvers avec Walter Van Bereindonck ou Dries Van Noten à l’aune des années 1990 persiste. Chacun présentait leur collection, tout comme les historique maison de couture parisienne qui ont progressivement pensé un vestiaire homme au fil des deux dernières décennies. L’homme Dior androgyne, dessiné par Slimane en 2000, se meut en danseur de ballet dandy avec Kim Jones en 2023, tandis que l’homme Vuitton inventé par Marc Jacobs en 1997 devient un outils d’exploration de l’identité américain avec Pharell Williams, alors que l’élection présidentielle américaine se profile.

 

Impossible de résumé à une formule, ou série de prompt cette riche scène. Elle évolue avec des mouvements sociaux plurielles, rassemblé en une riche semaine.