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Stéphane Rolland : « Être couturier est un travail de l'intime. Nous soignons l'enveloppe. »

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De ses débuts fulgurants chez Balenciaga à l'envolée internationale de sa propre Maison de Haute Couture, Stéphane Rolland s’est toujours laissé guider par son désir d’indépendance et son envie constante de surprendre et d’émouvoir. Cette saison, il présente sa nouvelle collection au Théâtre des Champs-Élysées au profit de la Fondation des Hôpitaux. Bien plus qu'un geste caritatif ponctuel, il s'agit ici du prolongement naturel d'une démarche fondée depuis toujours sur le partage et la transmission.

Stéphane Rolland parle calmement et rêve en grand. Une sérénité apparente qui contraste avec son parcours lancé à toute vitesse. Lorsqu'il pousse les portes de la Maison Balenciaga à 20 ans, il est loin de se douter qu’un an plus tard, il y prendra les rênes de la Mode Masculine. "J’étais tout juste sorti de l’École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne quand Pierre Bergé m’a orienté vers Balenciaga. Il m’a permis de rencontrer la direction, et tout s’est enchaîné avec une rapidité déconcertante." Michel Goma, styliste français reconnu pour son passage chez Jean Patou, venait d’être nommé directeur artistique pour inaugurer le prêt-à-porter. « Il y avait un poste vacant à l’Homme, et ils m’ont confié les rênes. J’ai plongé sans savoir nager, et j'ai appris très vite avec une grande liberté. » Stéphane Rolland apprend alors non seulement la création, "mais aussi la vente, le management, les relations presse et publiques. Une formation accélérée à 360 degrès." Trois ans après, fort de cette expérience de haute voltige, il ne résiste pas aux sirènes de l'indépendance et lance sa propre marque de prêt-à-porter féminin, à 24 ans. "J'ai commencé par le prêt-à-porter parce que la Haute Couture était sacrée pour moi. C'était intouchable." Et lorsque la Maison Jean-Louis Scherrer, sacrée Haute Couture, le démarche, il accepte sans hésiter et y reste 10 ans. "C'était une Maison qu'il fallait remanier, et j'ai toujours adoré les défis. Ce fut une période étourdissante, assez dure, mais j'y ai véritablement appris le métier de la Haute Couture." Il y découvre le contact privilégié qu'un grand couturier entretient avec ses clientes. "J’ai plongé dans mon rôle de couturier en ayant un regard constant sur la partie commerciale. Comment peut-on habiller une femme si on ne sait pas comment elle vit ? Monsieur Valentino, ou Monsieur Saint Laurent, ont toujours fréquenté les femmes qu'ils habillaient. Ils savaient ce dont elles avaient besoin." Dans le sillage des grands Maîtres, Stéphane Rolland part à la rencontre de celles et ceux qu'il pare. "J'ai beaucoup voyagé. Je suis allé au Moyen-Orient, bastion des plus grandes clientes de Haute Couture, mais aussi à travers Los Angeles et New York, j’ai pu rencontrer des personnages incroyables." se souvient-il en souriant.

"Ce que les femmes m'ont toujours appris, c'est qu'elles veulent être surprises par un couturier. Quand une femme se confie, c'est extraordinaire et touchant. Je deviens alors psychologue. C'est un travail de l'intime. Nous soignons l'enveloppe."

L'appel de l'indépendance se fait plus pressant encore, et cette fois, elle sera totale. En 2007, il fonde sa Maison et entre la même année dans le très sélectif Calendrier Officiel de la Semaine de la Haute Couture. Dans la foulée, il obtient l'appellation protégée "Haute Couture" tant convoitée, symbole d'excellence et de rigueur dont ne peuvent se targuer qu'une poignée de créatifs du plus haut niveau. "Le jour où j'ai obtenu l'appellation Haute Couture, mon statut a radicalement changé. Les clients savent qu'ils vont avoir accès à un univers extrêmement privé et convoité. C'est un rêve rempli d'exigence, de pièges autant que de plaisir, parce que nous sommes dans l'intime. " explique-t-il. Et sa Maison grandit, prend une envergure internationale, son équipe s'étend. "Avant je travaillais en famille, puis mes parents devaient s'arrêter. C'est très compliqué pour un créateur d'avoir la chance de trouver quelqu'un qui le comprenne. Lorsque Pierre Martinez, qui dirige la Maison à mes côtés, est entré dans mon univers, il a immédiatement su ce qu'il faillait corriger pour développer la marque. C'est un homme brillant et c'est grâce à lui, et aux efforts de toute la Maison, que nous sommes restés indépendants." 

"Dès que nous avons la possibilité d'attirer un public et de récolter des fonds pour aider les autres, il ne faut pas hésiter. Quand nous avons reçu beaucoup de la vie, il faut alors donner. Il y a trop de gens en souffrance, trop de valeurs piétinées, pour ne pas aider."

Les défilés de Haute Couture ne sont habituellement accessibles que sur invitation, sans parler des ateliers. "Pour entrer au showroom, il faut un sésame. J'aime que la Haute Couture reste fermée mais pour la Fondation des Hôpitaux, nous ouvrons les portes du défilé." Au Théâtre des Champs Elysées, la moitié des 1500 places ont été mises en ventes au grand public, qui pourra découvrir des pièces exceptionnelles, réalisées à la main dans le plus grand respect du savoir-faire propre aux Maisons de Haute Couture. "Cette collection présente des coupes encore plus architecturales aux proportions exacerbées. Nous sommes dans une Espagne revisitée, mélangée à la culture et à l'architecture japonaise. Étrangement, ça se marie divinement. L'Espagne austère, de Goya et de Velázquez, ces habits noirs à cols blancs que j'ai toujours aimé."

Au-delà de cette ouverture au grand public, Stéphane Rolland va plus loin encore : il ramène de l'humanité au cœur de la Haute Couture. "Mon respect pour la Fondation des Hôpitaux a débuté il y a longtemps, lors de ma rencontre avec Madame Chirac. Elle m’avait contacté pour l’habiller toute une semaine à l’Élysée pendant la visite de la Reine d’Angleterre. Elle venait de lancer les Pièces Jaunes." se souvient-il avec affection. Lorsque Pierre Martinez et Stéphane Rolland contactent la Fondation pour proposer leur aide, ils rencontrent Anne Barrère, Présidente et Marion Cinalli Directrice Générale, "deux femmes formidables, extraordinaires", qui les aiguillent vers la Maison des Adolescents de Blois. "Nous sommes allés sur place et nous avons rencontré douze jeunes filles en difficulté. Et nous les avons accompagnées pendant plusieurs mois." L'objectif ? Leur montrer que le monde est vaste, plein d'opportunités à saisir. Ouvrir le champ des possibles. "Nous avons organisé plusieurs masterclass, avec le réalisateur Claude Lelouch, avec la costumière d'"Emily in Paris" Marylin Fitoussi, avec Eve Gilles, Miss France 2024… Et bien sûr, nous leur avons fait découvrir notre atelier. Certaines n'étaient jamais venues à Paris." Le mois dernier, la Fondation a invité Stéphane Rolland et Pierre Martinez à Blois, pour une "surprise". "Quand nous sommes arrivés, les jeunes filles avaient preparé un défilé de mode pour nous. Ce jour-là, nous étions à notre tour les adolescents intimidés. Nous avons reçu un cadeau exceptionnel. Plus on donne, plus on reçoit." 

Une évidence du partage que Stéphane Rolland cultive au sein de sa propre Maison. Aujourd’hui à la tête d’un atelier d’une quarantaine de personnes, il a mis en place avec Pierre Martinez il y a quelques années un système de formation interne. "Chaque couturier confirmé travaille en binôme avec un débutant. Notre but est de relever le défi de la transmission."

"Je pense à la musique du défilé avant même de débuter les croquis. Parce que la musique est un vecteur d'émotion qui m'aide à créer."

C'est une véritable performance que la Maison Stéphane Rolland présente cette saison, où les vêtements sont les personnages principaux. "Déjà, nous allons avoir plus de 50 musiciens sur scène !" précise-t-il. Le couturier a invité Zahia Ziouani et son orchestre symphonique Divertimento, qu'elle a fondé en 1998 alors qu'elle n'avait que 20 ans. L'âge auquel Stéphane Rolland est entré chez Balenciaga. De cette même volonté de voler à toute allure de ses propres ailes. "Son orchestre jouera le Boléro de Maurice Ravel", le crescendo le plus fredonné au monde, créé le 22 novembre 1928 à l’Opéra de Paris pour la danseuse Ida Rubinstein et devenu dès lors un hymne universel. "Ravel a trouvé l'inspiration en entendant des rythmes mécaniques dans une usine. Et le défilé débutera avec cette mécanique. Doucement, nous entrons dans le Boléro qui prend corps dans la salle." Pierre, a peaufiné la lumière, le son, "chaque élément pour créer un moment d 'exception."

 

Reuben Attia