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UNE SAISON MANIFESTE

Inspirations

By Laurence Benaïm

« Man yesterday, feminine today, it doesn't matter.In the puzzle of life, all combinations are winners” precise le communiqué d’Egon Lab. A travers sa huitième collection placée sous le signe de la « Toute première fois », Patjim Statovci a donné à sa manière la mesure de cette semaine du prêt à porter masculin PE 2024 à Paris. Inclusive. Émotionnelle. Revendiquant une « élégance libidineuse » (Ludovic de Saint Sernin) sous le soleil du « queer power » aux « antidotes d’un moralisme prude ». L’habit ne fait plus le moine, il le dénude, l’effleure, l’évente, le démarquant en douceur de toutes les figures d’une virilité sous haute surveillance. L’ombre du Grand Old Party et des menaces offensives vis-à-vis de la communauté trans aux États-Unis plane sur une saison sous influence : on ose parler de mélancolie, de vulnérabilité, de chagrins d’amour, à l’image de Jeanne Friot, partie de la relecture réparatrice de la petite Sirène, « une histoire gay ». : « face à la montée de l’intolérance, faire porter nos voix, ma voix, de manière positive en essayant de déconstruire les normes de genre et rendre ma communauté visible » assure-t-elle. De Kidsuper’s Colm Dillane, à Marine Serre et à sa « heartbeat » collection, le message est de plus en plus radicalement et sentimentalement personnel.  “An inner exploration that involves exploring the body we discover, defying gender, and revealing forms. For the upcoming spring, bodies are blossoming like the "flower of evil”" souligne t’on chez Egon Lab.  Denim ou cuir, “skin against skin » le printemps été 2024 ajoute ainsi au graphisme des lignes une sensualité inédite, celle qui questionne l’identité et la relation au corps. Inspiré par « Single Man » un roman de Christopher Isherwood, Louis Gabriel Nouchi revendique une identité à facettes : “this collection is a reflection on the tension between the structure imposed on men in society and the uncontrollable force of the repressed emotions. It opens the conversation on mourning, and how men are expected to react, openly show or not, emotions.” 

 

La figure d’Orlando revient en mode post-androgyne, donnant aux elfes des épaules pointues en guise d’ailes, des jambes interminables, gainées dans des pantalons taille haute (Rick Owens), ou effleurées de sarouels de mousseline (Burck Akyol). Entre Orient et Occident, joie et apocalypse, ce corps hybride, genderless « masculiel » selon le bureau de conseil en prospective Leherpeur, ne craint plus les grands écarts. Le voici qui élève le paradoxe en jeu, et le jeu en révolution esthétique permanente. « “Un vestiaire libre pour célébrer un hédonisme chic” annonce encore Pierre François Valette, qui, sur les traces d’un Gastby très affranchi, mélange perles et métal, soies et coton, en version lascive et urbaine à la fois. « Ancrer mon Adn dans mon travail, poursuivre une exploration sans rupture, précise Steven Passaro, avec « An other layer » : « s’affirmer, se montrer, être toujours en mouvement, en recherche de soi. S’accrocher, continuer pour être là où on veut ». 

Rien désormais dans le néo tailoring ne peut exclure le confort : si le costume réapparait, c’est en mode XL chez Givenchy, et bien sûr mâtiné de références au workwear, à l’uniforme des collégiens, au pyjama, comme l’a prouvé avec panache Pharell Williams pour son premier show chez Louis Vuitton. Le printemps 2024 se laisse illuminer par les motifs pixel, « damoflage », les accessoires surgissent, un à un, immédiatement convertis en wish list devant un parterre monogrammé de stars, de Beyoncé à Rihanna. La preuve qu’à Paris, c’est bien de soi-même, de ses obsessions, de sa communauté, de ses valeurs dont il est toujours question à travers un défilé, qu’il soit organisé sur un Pont neuf au damier d’or, ou dans la cour de son propre immeuble (Burc Akyol).  N’est-ce pas après tout ce qui rend la capitale si unique ? Ainsi en va-t-il de la mode à Paris comme de la littérature aux Etats-Unis : « Le mémorialiste ne se contente jamais de raconter l’histoire des autres il y joue son propre personnage ». (Richard Ford, Entre eux ).