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L’iconoclaste Dame Vivienne Westwood

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A 81 ans, l’irrévérencieuse créatrice britannique Vivienne Westwood a tiré sa révérence. Malgré les titres et les honneurs, Dame Vivienne Westwood, promue dame commandeur de l’Empire britannique en 2006, restait une rebelle dans l’âme avec sa chevelure rousse en bataille et sa dégaine inimitable. Elle affirme, d’ailleurs, sans ambages « la seule raison pour laquelle je suis dans la mode est de détruire le mot conformité. »

Rien ne prédestinait, pourtant, une simple institutrice à devenir une des icônes du style. Sa rencontre avec Malcolm McLaren, en 1965, va marquer un tournant décisif dans sa vie. Il deviendra son mentor. Il pousse la jeune femme à formuler les codes vestimentaires d’une jeunesse aspirant à repousser toutes les normes. Ensemble, ils ouvrent en 1971 une boutique au 430 King’s Road qui va devenir le repère du punk en alliant mode et musique. Ils rompent ainsi avec l’idéalisme angélique des hippies. “On ne se contentait pas de rejeter les valeurs des générations plus âgées, nous rejetions également leurs tabous.” observait-elle en revenant sur cette période. 

Crédits :  Jeremy Sutton-Hibbert / Alamy Stock Photo

Credits : Jeremy Sutton-Hibbert / Alamy Stock Photo

Au fil des années, au gré des mouvements, la boutique prend plusieurs noms passant de Parade Garage à Let It Rock, Too Fast To Live Too Young To Die, Sex, Senditionaries et, enfin, World’s End. Les costumes et jeans du mouvement Teddy Boys cèdent leur place aux looks plus audacieux des bikers puis aux tenues fétichistes. Parmi les ambassadeurs de ce nouveau style, il y a les légendaires Sex Pistols dont Malcolm McLaren est le manager. A partir de 1975, Vivienne Westwood définit avec eux ce qui va devenir la grammaire punk : pantalons et tee-shirts troués, blousons déchirés, messages provocateurs tels qu’ « anarchy » ou « destroy », lames de rasoir, épingles à nourrice,… Et pour compléter cette silhouette révolutionnaire et négligée, le très respectable Royal Stewart Tartan de la reine Elisabeth II est détourné, lacéré et porté par la créatrice et cette jeunesse désabusée de l’ordre conservateur et sage des Trente Glorieuses.    

Une décennie plus tard, elle s’émancipera du punk. Sa première collection “Pirate”, en 1981, sera le début de ses recherches de beauté dans la subversion.  “La seule chose en laquelle je crois, c’est la culture.” Ses pirates évoquent l’Histoire, des figures mythiques de l’imaginaire occidental. Mais ce sont aussi des libertaires qui luttent contre l’ordre établi. Progressivement, sans rien perdre de la radicalité de son propos, la créatrice va s’inspirer des costumes anciens, et notamment du XVIIIe siècle. Les tableaux d’Antoine Watteau ou de François Boucher ainsi que les aquarelles florales de Pierre-Joseph Redouté deviennent des motifs évoquant la galanterie et le libertinage. Ces références historiques sans être jamais littérales inspirent la créatrice qui se passionne pour la technique. Corsets, robes à la française, décolletés et habits de cour sont détournés, exagérés et reconstruits. « La coquetterie fait partie de la sagesse féminine. » observe Vivienne Westwood. Elle n’est pas pour autant superficielle. Il y a une célébration hédoniste dans le travail de la créatrice. La liberté se traduit, notamment, par une jouissance sans entraves des plaisirs de la vie. A partir de 1990, elle va décliner son travail dans la mode masculine. 

En 1992, elle convole en justes noces avec Andreas Kronthaler, de 25 ans son cadet. Rencontré à l’université des arts appliqués de Vienne, le styliste avait rejoint son studio en 1989. Il sera, à partir de ce moment-là, son véritable bras droit créatif. Depuis 2016, sa ligne Gold Label a, d’ailleurs, été rebaptisée « Andreas Kronthaler pour Vivienne Westwood » pour consacrer ce rôle essentiel. Avec cette approche si singulière, saison après saison, les collections de Vivienne Westwood marquent la mode sans être à la mode. « Mes vêtements ont une histoire. Ils ont une identité. Ils ont un caractère et un but. C’est pourquoi ils deviennent des classiques. Parce qu’ils continuent à raconter une histoire. Ils le disent encore. » Le patrimoine et l’histoire ne cessent de servir de source d’inspiration pour la créatrice. 

La mode n’est qu’un prétexte pour Vivienne Westwood pour secouer une société enfermée dans le bonheur artificiel du consumérisme. Et l’une de ses armes de combat est la culture. Tout au long de ses quatre décennies de carrière, elle créera des ponts entre le passé et le futur. « Le meilleur accessoire de mode est un livre » concédait-elle, d’ailleurs, ironiquement. La provocation ne se limitait pas à bousculer les bonnes consciences puritaines. C’était un appel à une véritable prise de conscience. Elle a été l’une des pionnières, et l’une des plus ferventes activistes, en faveur d’une mode responsable et écologique. Dès 2007, elle lance son manifeste « Active Resistance to Propaganda » qui est une déclaration de guerre à la surconsommation. Largement relayé, ce pamphlet est l’une des premières prises de parole pour de véritables actes dans l’industrie. En 2016, elle publie « Get A Life », un essai militant qui prend la forme d’un journal intime qui s’inscrit dans sa démarche de sensibilisation. 

Rebelle, son élan créatif n’en est pas pour autant nihiliste. C’est certainement ce qui la démarque de ses débuts et du mouvement punk. « J’utilise la mode juste comme excuse pour parler de politique. Parce que je suis une créatrice de mode, cela me donne une voix, ce qui est vraiment bien » admettait Vivienne Westwood. Il y avait une aspiration à construire un monde meilleur sur les ruines d’un présent imparfait. C’est grâce à des personnalités comme Vivienne Westwood que la mode retrouve toute sa raison d’être.