Isabelle Tardieu : “Il est très important de bien comprendre les artistes dont on engage la crédibilité pour imaginer une collaboration pertinente avec une marque.”
Son parcours est traversé par la curiosité constante d'explorer et de participer activement aux coulisses de la création. De la musique chez Warner à la pop culture chez BETC puis à la culture plus globalement chez Museum Studio, et aujourd'hui en tant que consultante indépendante, elle se fait traductrice entre la créativité des artistes et les enjeux des marques et des institutions. Avec l’envie de construire des projets culturels qui décloisonnent les disciplines, attirent et incluent des publics différents, pour toujours ouvrir de nouvelles scènes à la jeune création.
“On m'a transmis une grande estime pour le travail d'artiste et par conséquent cela m'a attiré très tôt. Puis la curiosité est devenue un réflexe, presque une forme d'addiction à la découverte, à cette sensation de se grandir teintée de la joie de savoir que l’on va pouvoir écouter ou admirer les oeuvres d’un ou une artiste ou d’un mouvement dont on n’avait pas la connaissance quelques minutes plus tôt.” Cette sensibilité traverse tout le parcours d'Isabelle Tardieu, soit près de vingt ans à conjuguer la créativité des artistes aux enjeux et envies des marques et des institutions. Elle débute chez Warner Music France en 2007, où elle découvre l'accompagnement des artistes et apprend à comprendre leurs intentions. “Chez Warner, j'ai travaillé à la fois avec des artistes en développement comme Foals ou Lykke Li à l’époque et des artistes très connus comme Tracy Chapman, les Red Hot Chili Peppers, Laurie Anderson ou David Byrne, le chanteur de Talking Heads. C'était passionnant.” Label Manager, elle apprend à raconter et diffuser l'histoire d'un album avant même sa sortie. “Pour chaque projet, il y a des intentions artistiques qu’il faut raconter par l'image, les clips, des événements et via les réseaux sociaux, pour permettre à cette histoire d'émerger et qu'elle soit comprise du public.” Elle découvre aussi un milieu en pleine mutation. “L’industrie musicale est la première industrie culturelle qui s'est faite chahuter, avec les piratages, les problèmes de business model, le développement du D2C et l’arrivée du streaming. Il a fallu être très créatifs, tout digitaliser, capitaliser sur des réseaux sociaux friands de musique et imaginer des collaborations, des events et des sources de revenus inédits. Il m’arrive de retrouver chez les marques de mode et de parfums des problématiques sur lesquelles je travaillais déjà dix ans plus tôt pour la musique.” Ce monde bousculé rend les artistes particulièrement réceptifs aux propositions originales de marques qui respectent leurs intentions artistiques.
"Chez BETC, j'étais la traductrice entre les intentions créatives des artistes et les enjeux, les envies des marques."
Elle entre chez BETC, l'une des agences de publicité les plus créatives au monde, en 2011 en tant que Planneur Stratégique Musique puis co-fonde en 2014 POP, l'agence de conseil et de production en pop culture de l'agence, dont elle devient directrice associée. Elle y pilote les collaborations entre artistes et marques dans le respect des envies et intentions de chacun. Pendant huit ans, elle imagine des stratégies culturelles pour Courrèges, Lacoste, YSL Beauté, Beats by Dre, ou encore Hennessy et participe notamment au développement du programme Air France Music. "C'était un très beau programme pour raconter la French Touch d’Air France à travers la musique." Elle travaille notamment avec Phoenix, mais aussi Sébastien Tellier et Caroline Polachek pour créer des œuvres originales. "On avait envie de travailler avec Sébastien Tellier et l’idée créative impliquait un duo. On lui a demandé avec qui il rêvait de collaborer. Il nous a parlé de Caroline Polachek." Une collaboration qui n'aurait pas eu lieu sans ce projet. "C'est important de dialoguer avec les artistes parce qu'il faut savoir comment ils travaillent, ce qui les fait rêver, quels sont leurs projets inassouvis. Les agences créa développent des idées formidables, mais elles n’ont jamais autant de souffle que quand elles sont conjuguées au bon choix d’artiste et qu’elles résonnent avec leurs enjeux créatifs : tout finit par se rencontrer et créer un projet qu'un artiste est fier de porter."
En mars 2020, elle devient partner chez UZIK , agence créative indépendante experte en musique, culture et événements, créatrice du festival Calvi on the Rocks. Elle y développe des stratégies culturelles et des événements pour des marques comme la Fondation Hermès, Isabel Marant, Boucheron, Adidas, YouTube. En parallèle, de 2021 à juillet 2023, elle assure même la co-programmation artistique du festival. Son accompagnement des artistes se joue à plusieurs échelles, jusqu'à l'accompagnement au plus près d'une seule artiste. De 2014 à 2023, elle manage ainsi Canine, une artiste signée chez Polydor/Universal qui cumule plus de 10 millions de streams et avec qui elle développe des performances live dans des lieux patrimoniaux. "C'est une femme talentueuse, très créative, qui a des choses à dire. Pour ses concerts, nous avons cherché des lieux à son image comme le Centre Pompidou, le Musée d'Orsay ou l'Église Saint-Eustache." Une manière de créer la surprise, de faire se réunir des publics différents, de décloisonner. En parallèle, elle s’implique dans MEWEM, initiative de mentorat pour les entrepreneuses de la musique. En septembre 2023, elle devient Directrice France de Museum Studio, leader mondial de l'ingénierie culturelle et de la production pour les institutions culturelles. Elle y pilote des projets d'envergure pour des marques internationales de mode et de luxe, des fondations ou encore le Grand Palais Immersif à Paris. Cette dimension institutionnelle élargit encore son spectre.
"Je crois beaucoup à l'idée de développer une empreinte culturelle de marque qui réponde à une ligne éditoriale claire, mais qui ne soit pas contrainte par le format. Il faut partir de ce que l’on veut dire avant de s’attacher à un format ou une discipline.“
Depuis janvier 2025, Isabelle Tardieu exerce comme consultante indépendante. "J’ai la chance de travailler avec des artistes et institutions culturelles que j'adore, tout en poursuivant mon travail passionnant auprès des marques." L'objectif est de concevoir chaque stratégie de marque ou d’événement culturel en croisant leur ADN, le marché, l'écosystème artistique et les insights des publics cibles. "Je ne pars pas de la contrainte de format ou de discipline pour concevoir les prises de parole culturelles de marques, cela me permet d’aller au plus juste pour exprimer la ligne éditoriale choisie." Ce qui guide ses projets, c'est d'abord de les penser pour le public, avec générosité : "Faire des événements de marques, des expositions repliés sur soi-même qui finalement pourraient aussi bien être une vitrine de boutique, ça ne sert à rien, ça ne touche personne. Il faut mettre l’expérience visiteur et visiteuse au cœur de son travail, donner différentes clés de lecture, proposer des émotions différentes : esthétiques, divertissantes, utiles et instructives. Je trouve intéressant quand au fil du parcours, on passe par ces différents états. Cela permet de répondre aux attentes, différentes selon les cibles." Cette approche crée aussi la surprise, élément essentiel pour elle. "Je pense à tous les points de contact entre le public et le lieu ou la marque. Chaque pas de côté, chaque surprise et attention inattendue et généreuse contribue à créer une relation différente avec le public." Au cœur de sa démarche : la porosité culturelle, quand les disciplines se croisent. "J'aime faire venir de nouveaux publics. Proposer une programmation pop culturelle, de la musique, du cinéma, du spectacle vivant dans les musées, cela permet de créer des occasions de faire découvrir une institution et ses expositions, tout en proposant des occasions aux habitués de redécouvrir ces lieux sous un nouveau jour." Cette volonté de décloisonner vise aussi à désacraliser l'accès à la culture. "J'ai pu constater des interdits internalisés, des gens qui se disent qu'ils ne sont pas concernés par ces lieux. C'est très important pour moi d'inclure, de leur dire que c'est pour eux."
Reuben Attia