MAISON Martin Margiela par Glenn Martens
L’artisanat céleste
Silhouettes aluminium houssées de PVC translucide, vestiges d’un dressing d’infante remodélisée pour le vingt et unième siècle, jeans bleu de ciel changeant aux poches blanchies à la chaux…« J’ai envie de tout » souffle une fashion madone des premiers rangs. Au Cent Quatre, transformé en une enfilade de pièces de réception, et aux murs tendus de planches de papiers froissés, en trompe l’œil ou pas, -certains imprimés de chandeliers- les spectateurs, assistent, médusés, au premier défilé Maison Martin Margiela de Glenn Martens. Une procession dont les chiffonnades de tulle teint témoignent de centaines d’heures artisanalement inspirées…
Né à Bruges, cet ex diplômé de l’Académie Royale d’Anvers maîtrise avec une prodigieuse virtuosité toute l’essence du style Martin Margiela. Tout se passe comme si le directeur artistique de Diesel, nommé à la tête de la Maison en janvier dernier, avait réinitialisé en un défilé l’esprit d’un maître auquel il rend hommage sans déférence ni nostalgie. De corsets en drapés nude, il Intègre même les citations au dernier défilé de John Galliano, pour les projeter, ailleurs. Avec une prodigieuse capacité à hybrider le quotidien pour tailler une robe de princesse dans un sac poubelle, à donner au rebut un atour de pirate magicien. Le voici qui taille dans un cuir de Cordoue des blousons, fait souffler sur des fourreaux des centaines de cocottes de soie chiffonnée dans des sublimes dégradés de roses et de sables mouvants : des robes du soir dignes d’un conte où les fantômes prennent une dimension céleste. Un taffetas d’or lamé froissé torsadé sans fin, un manteau qui semble fait de cartes anciennes de marine assemblées une à une, il s’agit d’une méditation sur le temps, sur la mémoire et sur sa préservation, sur le laid qui devient beau sous la main et l’esprit agile. Une correspondance entre l’usure et le futur rendu aussi invisible que ces visages derrière ces masques.
Sont-ils aussi nécessaires dans une époque où cacher son visage n’est plus désormais un luxe, mais une forme de renoncement et de soumission à tous les fanatismes ? L’œil se concentre sur ce qui avance, comme une suite de chimères incarnées. Effet de cocottes en papier, mouchoirs célestes, découpages imitant les ramages des oiseaux, plumes qui n’en sont pas, tout l’art nait de la transformation et de la capacité à redonner au réel sa part de fiction et de jeu. Comme en témoigne, à la sortie, ce bain de ballons multicolores qui éclatent comme des fruits murs sur un air de champagne.
L.B